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Nick Drake : Héro romantique et torturé

écrit par Lucas Sicaud le mercredi 12 avril 2023

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Nick Drake : Héro romantique et torturé

 

Depuis que l’on m’avait conseillé l’œuvre de Nick Drake et son histoire, je m’étais toujours imaginé ce gars, guitare en main, sur un campus d’université, que personne ne semblait connaitre, et qui allait pourtant devenir une source d’inspiration pour toute une flopée d’artistes. Songwriter d’exception et multi instrumentaliste, entre ses chuchotements et ses susurrements, il dégageait une fragilité touchante, et quand il se mettait à chanter, c’est un peu comme s’il voyait sa vie défiler devant ses yeux. Tourmenté par une anxiété chronique et des troubles mentaux, son jeu et ses textes s’en retrouvaient forcément irradiés, les rendant sombres et sublimes à la fois. A l’image d'un Miles Davis qui jouait dos à son public par timidité, Drake, lui, jouait en regardant ses pieds. Alors comme dirait Jean Baptiste Toussaint de Tales From the Click, entre ce que je savais et ce que j’ignorais sur Nick Drake voici plusieurs cliques droits sur cet artiste énigmatique et lumineux à la fois. 

Nick Drake : Héro romantique et torturé

 

Qui es-tu Nick Drake ?


Né à Rangoon en Birmanie d’un père ingénieur et d’une mère dont il héritera de la passion pour la musique, Nick et sa famille rentrent au Royaume-Uni cinq ans après sa naissance. On dit souvent que derrière chaque grand homme il y a une femme, et pour Nick Drake c’était Molly, sa maman. Le contenu d’un enregistreur audio de la famille Drake avait été rendu public et une maison de disque l’avait publié en 2007, on pouvait y trouver plusieurs chansons de sa maman, des chansons toutes simples en piano-voix, avec ce qu’il faut d’irrégularités pour les rendre immédiatement exquises, comme un nuage de lait dans un thé à l’heure du Tea Time.

Nick commence donc par jouer du piano, de la clarinette, du saxophone mais comme n’importe quel adolescent, il se passionnera surtout pour la guitare. En parallèle de son premier groupe avec lequel il reprend des standards de Jazz et de Rythme n’Blues, il devient capitaine de l’équipe de rugby de son lycée. Ses camarades se souviennent de lui comme quelqu’un de loyal mais de plutôt très distant, son père, lui, se rappelle d’un courrier envoyé par le collège qui mentionnait que les gens savaient à peu près qui était son fils mais que personne ne le connaissait vraiment.

Un peu plus tard dans sa scolarité, Nick retardera son entrée à Cambridge pour aller étudier 6 mois à Aix en Provence, il jouera de la musique dans les rues de la ville, prendra des acides pour la toute première fois et écrira les paroles plutôt bien perchées de Clothes of Sand (Qui t’a habillé de ces étranges habits de sable ?/ Des vêtements de sable ont recouvert ton visage).

De retour en Angleterre pour faire sa rentrée à l’université, Nick se renferme de plus en plus, il préfère fumer des pétards, jouer de la guitare et écouter des disques dans sa chambre plutôt que de reprendre le rugby. A la place il compose et écrit de plus en plus de chansons. Il joue son premier concert lors d’un festival à Londres, et coup de chance, ce soir là, un certain Ashley Hutchings, bassiste de Fairport Convention lui fera rencontrer le chanteur John Martyn (Over The HiIlls, May You Never…) ainsi que leur producteur Joe Boyd. Lui de son coté est persuadé d’avoir trouvé le Bob Dylan britannique. Drake signera donc un contrat payé 20 livres/semaine avec une filiale de la maison de disque Island Records, qui avait entre autre signé King Crimson et Cat Stevens à la fin des années 60.

A l’automne 1969, 9 mois avant de passer ses examens, Drake décidera de mettre un terme à ses études. Il décide donc de partir pour Londres et se concentrera uniquement sur la composition de ses chansons. Des débuts assez durs, il sera contraint de dormir de temps en temps chez sa sœur, et le reste du temps chez des amis, à même le sol. Il enchainera des premières parties pour les Fairport Convention, et quelques lives dans des clubs de Birmingham. Mais ces concerts sont durs à gérer, lui qui n’intéragit pas avec son public et passe son temps à réaccorder sa guitare.

Nick Drake : Héro romantique et torturé
 

3 albums énigmatiques
 

C’est dans cet univers que Drake sortira son premier album Five Leaves Left (« Il reste 5 feuilles » en anglais, inspiré d’un message inscrit sur un paquet de feuille à rouler). Album qui avait reçu un accueil plus que mitigé puisque le magasine Rolling-Stones l’avait classé à la 283ème place de son classement. Drake en ressortira déçu, mécontent de la pochette et des paroles mal orthographiées dessus, sa sœur se souvient d’un jour où il était rentré dans sa chambre, lui avait balancé le premier pressage sur son lit et lui dit « le voila. », puis reparti aussitôt.

Nick Drake : Héro romantique et torturé

Dans ce disque, Drake y pose sa voix calme et mesurée dans une ambiance à la limite jazzy, donnant à son folk des airs de prog, et immédiatement il nous plonge dans une atmosphère bien sombre comme il savait si bien les composer. Guitare acoustique ou électrique, voix, quelques fois contrebasse, ou encore piano… Joe Boyd avait aussi fait appel à un arrangeur pour les sessions, qui fera appel à un orchestre à cordes de 15 musiciens. Mais une fois l’enregistrement terminé, la version ne satisfait pas Nick, il décide alors de faire appel à Robert Kirby, un vieil ami de Cambridge, qui lui écrira un arrangement pour quatuor à cordes. Boyd et son ingé son ne sont pas rassurés à l’idée de laisser quelqu’un sans aucunes expériences pro s’occuper des arrangements…

Mais au final ils finiront totalement convaincus et 3 chansons seront enregistrées en 1 seule journée.
 

“A troubled Cure
For a troubled mind”

 

Bryter Later : Pour cet album, afin de le décoller de son image de « poète », Boyd convainc Drake d’ajouter batterie et basse sur ses chansons, les arrangements sont confiés à John Cale du Velvet Underground, qui seront enrichis par la présence de cuivres, clavecin, orgue et célesta (Instrument à percussion muni d’un clavier au doux son de cloche et qui a servit à enregistré la mélodie d'Harry Potter). Mais à l’image du premier opus, celui-ci ne fonctionnera pas mieux, malgré l’enthousiasme de Joe Boyd. Ce dernier décidera de vendre sa maison de disque à Island Records et de partir emménager à Los Angeles pour bosser avec la Warner. L’échec commercial de son 2ème album et le départ de son mentor aggraveront la solitude de Drake. L’une de ses dernières apparitions en live fut au concert du collège d’Ewell à Londres. Le chanteur Ralph Mc Tell se rappelle ce soir là que Nick était pétrifié de timidité : « il a du se passer quelque chose quand il était sur scène car il en est parti précipitamment en plein milieu de sa chanson Fruit Tree ».

A la suite de ce concert, sa frustration se transforme peu à peu en dépression, sa famille le convainc de rencontrer un psychiatre qui lui prescrit des antidépresseurs, mais en a honte et le cache à ses amis. Il s’inquiète des éventuelles réactions que ses médicaments peuvent avoir avec l’herbe qu’il fume, « des quantités innombrables » selon Kirby, pendant que lui s’inquiète de sa santé mentale et de sa psychose naissante. Il finit par s’enfermer pour de bon dans sa chambre et ne sort que pour quelques concerts occasionnels ou alors pour se ravitailler en herbe.

Sa sœur se souvient que Nick lui avait dit que tout avait commencé à déraper à ce moment là, et il suffit de regarder la pochette de l’album, où Drake apparait à coté de ses pompes, littéralement.

Nick Drake : Héro romantique et torturé
 

“Please give me a second grace.
Please give me a second face.”


Pink Moon : En 1971, Drake rentre en contact avec le producteur John Wood d’Island Records pour commencer à enregistrer ce qui sera son dernier album. 2 nuits d’enregistrements seront suffisantes, Drake est seul avec sa guitare. Les chansons sont brèves et mélancoliques, l’album dure 28 minutes « c’est tout juste ce qu’il faut, on ne voudrait vraiment pas qu’il dure plus longtemps » dira Wood. Et puis comme disait un ami de Drake : « Quand quelque chose est si intense, on ne peut pas le mesurer en minutes ».

Contrairement à Bryter Later, il ne veut pas d’un album trop élaboré, qui ne lui ressemble pas. C’est alors qu’il sera seul sur cet opus (excepté la chanson éponyme auquel s’ajoute un piano). Il voulait définitivement que cet album lui ressemble plus que tout autre chose. Et d’une certaine façon, Pink Moon ressemble beaucoup plus à Nick que ses deux premiers disques.

Chris Blackwell, célèbre fondateur du label Island Record, pense vraiment que ce disque peut être l’album qui fera connaitre Nick au grand public mais il refusera d’aller participer aux interviews ou autres concerts. Joe Boyd arrivera quand même à le convaincre de participer à une interview, la seule connue de Drake à ce jour, le journaliste se souvient « qu’il n’y avait eu aucun lien d’aucune sorte entre nous, je ne crois même pas que nos regards se sont croisés».

Au final, malgré quelques bonnes critiques de la presse, cet opus ne trouvera pas non plus son public, et Drake finira par renoncer à ses rêves de gloire, il arrêtera d’écrire des chansons et songera même à une reconversion professionnelle en voulant s’engager dans l’armée.


 

“Now I’m darker than the deepest sea
Just hand me down, give me a place to be”


Héritage

 

Entre Elton John qui faisait déjà des covers de ses chansons en 68, Peter Buck le guitariste de REM, Kate Bush, remise au goût du jour avec son Running up that Hill dans Stranger Things, la chanteuse Norah Jones, le groupe de britpop Blur, ou même Francoise Hardy (avec qui il y avait des rumeurs de collaboration, qui aurait eu lieu lors de leur rencontre à Paris début 70) tous ont revendiqué Nick Drake comme une grande influence. Robert Smith de The Cure, qui est surement un de ses plus grands admirateurs, dira avoir immédiatement accroché avec la musique de Drake, et que pour lui il était la deuxième face d’une même pièce de monnaie avec Jimi Hendrix. Le nom de The Cure viendrait même d’un titre de Nick intitulé Time Has Told MeA troubled cure for a troubled mind »).

C’est très clair pour Smith, sans Nick Drake point de Cure.

A l’époque, à part Cat Stevens, la folk britannique se faisait assez rare dans le paysage musical international, elle tire néanmoins son épingle du jeu à la fin des années 60 début 70 avec des artistes comme Tim Buckley, Ralph Mc Tell, ou (l’excellent) John Martyn, mais selon Joe Boyd, aucun d’entre eux n’égalait Nick Drake, tant dans la maitrise de leurs instruments que dans la puissance de leurs paroles.

Pour rajouter un peu plus de mystère autour de ce personnage, il n’existe aucunes vidéos avérées de lui, aucunes interviews filmées, aucunes captations de concerts... Mais à l’instar d’un Nessie ou d’un Big Foot, il y a une vidéo qui fait débat chez les admirateurs de Drake, elle dure seulement une dizaine de secondes et se passe dans un festival où l’on voit un grand homme de dos, longiligne avec des bras ballants, des cheveux long et une veste de costume noir. Rien de bien fou mais cela avait suffit à embraser les fans de cet artiste si mystérieux.

D’autre pensent aussi voir ses petites lèvres rouges pincées et sa chevelure à ce concert des Humble pie, d’abord à 0:51 assis en bas à gauche, puis à 2:13 mais rien n’a jamais confirmé ou infirmé si Drake était présent ou non à ce concert.


 

Succès posthume
 

Il est connu que pour faire partie du club des 27, il faut (évidemment) casser sa pipe à 27 ans, mais la plupart de ses légendes ont surtout marqué l’histoire de la musique, et Nick était un peu trop précoce pour ce club, pour la plupart ils sont tous mort en pleine gloire et à 27 ans, lui est mort 6 mois trop tôt, et avant d’avoir gouté à son succès.

Nick est donc décédé en novembre 1974 à 26 ans dans le lit de son enfance, retrouvé avec une surdose d’antidépresseur dans le sang, la police conclura à un suicide mais la famille contestera fermement, suicide ou accident, on ne le saura jamais vraiment. A l’image de grands peintres comme Gauguin ou Van Gogh, Nick s’en est allé avant de pouvoir gouter à son succès. Et quand l’on voit le nombre de fois où il utilise le mot « Fall » (tomber) dans ses chansons, c’est comme s’il savait pertinemment qu’il courait à sa chute. Ses chansons, hier snobées de ses contemporains, sont aujourd’hui considérées comme une inspiration pour beaucoup et suscite toujours un intérêt auprès des nouvelles générations. A ce jour, personne n’arrive à expliquer pourquoi ce disque, vendu à seulement quelques 3.000 exemplaires à sa sortie, deviendra quelques années plus tard un des albums folk les plus influents de l’histoire de la musique, aux cotés de Dylan ou Joni Mitchell.

Peut être que tout cela nous dépasse, et que Drake fait simplement parti de ces écorchés vifs qui ont vécu leur vie pour la musique, de ces artistes éphémères comme Amy ou Hendrix.

Lucas Sicaud
écrit le mercredi 12 avril 2023 par

Lucas Sicaud

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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mis à jour le vendredi 14 avril 2023

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