Culte

Musiques du monde et folkloriques, entre tradition et modernité : la preuve par 3

écrit par Guillaume Ferrand le vendredi 2 février 2024

Janis > Culte > Musiques du monde et folkloriques, entre tradition et modernité : la preuve par 3 >

Musiques du monde et folkloriques, entre tradition et modernité : la preuve par 3
 

Je ne sais pas vous, mais moi je n’ai rien contre un peu de musique qui ne soit pas anglo-saxonne. Je dis ça parce que depuis tout à l’heure ma playlist ne me joue que des titres en anglais et je commençais à trouver ça un peu redondant. Alors en général, quand on veut un peu d'exotisme, on se met dans un mood caliente et on s’enjaille sur de la bossa-nova, du calypso, du tango ou du reggaeton voire du zouk. Bref, sur des airs caribéens ou latinos, mais rien de très original finalement, quand on sait qu’il existe de par le monde pléthore de genres musicaux qui, même s’ils proviennent de contrées certes moins ensoleillées, n’en valent pas moins le détour, dans le sens où ils sont le reflet d’une culture, le fruit d’une histoire propre à un pays, un peuple. C’est ce qu’on appelle tout bonnement la musique folklorique, celle qui vise à faire valoir des traditions, quitte à se réinventer pour continuer d’exister. Et même pas besoin d’aller très loin pour ça. C’est ce qu’on va voir à travers les trois genres suivants. Et tout en gardant un focus européen, on peut déjà faire le tour de nombreuses sonorités, inspirations et histoires différentes les unes des autres. Avant d’entrer dans le vif su sujet, je vous propose de synthétiser ces différents genres de la manière suivante :

  • celui qui a été créé de toute pièce et défie l’opinion publique

  • celui qui a pris une drôle de tournure et qui n’était même pas mieux avant

  • celui qui attire les touristes et joue la carte de la tradition

 

Musiques du monde et folkloriques, entre tradition et modernité : la preuve par 3


Le disco-polo, un genre qui divise… tout autant qu’il rassemble

Avez-vous déjà entendu parler du disco-polo ? Si vous n’êtes pas originaire de Pologne, un rejeton du communisme ou (ancien) étudiant Erasmus au pays de Chopin, probablement que non. Pourtant, c’est LE genre musical polonais en vogue depuis les années 90, soit la fin du régime communiste et le tiraillement qui en découle pour le peuple polonais de se retrouver à devoir choisir entre renouer avec ses racines, son folklore, son identité propre, et s’ouvrir à la société occidentale, moderne et décomplexée. Le passage à l’économie de marché va ainsi créer un appel d’air pour le genre qui vivotait depuis ses débuts dans une économie parallèle - voire souterraine, et c’est peu de le dire puisque pendant quelques années, environ 70% du marché aurait été détenu par… des organisations criminelles locales !

Dans le courant des années 90, le marché noir s’organise peu à peu, des labels indépendants se montent et la piosenka chobnikowa (soit littéralement “musique de trottoir”) devient alors disco-polo, se répand hors des campagnes au point de devenir un genre hyper commercialisé… ou plutôt commercial dans un premier temps. Car, ça peut sembler paradoxal, mais le disco-polo est longtemps resté - et reste encore aujourd’hui - en marge du show-business, exclu de la culture mainstream, des grands médias et de l’intelligentsia du pays qui y voit là surtout une culture de ploucs. Ne perdons pas de vue que pendant des années, le gouvernement socialiste récusait à tout va tout phénomène culturel “réactionnaire, pornographique et de mauvais goût”. Or, il va sans dire que le disco-polo coche toutes les cases. Le nom de disco-polo fait référence à sa cousine italienne, l’italo-disco, très en vogue dans les années 80, et renvoie à la combinaison des instruments de musique électronique type disco/dance (boîtes à rythmes, synthétiseurs, saxophone), et du chant en polonais, mâtiné d’effets, sur des structures harmoniques et rythmiques simples, voire simplistes. Bien sûr, c’est bien souvent mielleux, ça sent bon l’eau de rose et ça se danse en soirée. Bref, c’est kitsch et c’est assumé.

Après un petit passage à vide dans les années 2000, le disco-polo s’est finalement imposé partout, de la moindre guinguette du coin aux grosses discothèques de Varsovie, en passant par les mariages et n’importe quelle nouba du pays. “Alors on danse”, comme dirait l’autre. Et ça, le polonais aime bien, quitte à passer pour un naze. Après tout, la vraie musique du terroir, celle du peuple, et, qu’on le veuille ou non, du monde moderne, c’est bien celle-là ! Il suffit de regarder le nombre de vues de deux des plus gros hits du genre :



 

Le schlager, la musique que les Allemands adorent détester

Aah la Schlagermusik... Apparu au début du 20è siècle, le Schlager tient son nom du verbe “frapper, taper” (tout comme l’anglicisme “hit”) : on peut ainsi en déduire qu’il s’agit d’une musique rythmée, facile à retenir, aux refrains volontiers répétitifs et/ou langoureux. C’est donc une musique populaire, que l’on rangerait par chez nous dans la catégorie “pop/varietoche”. Bref, à l’origine c’est surtout une musique de bal et de fête au village.

Bien sûr, régionalisme et dialecte revendiqués à l’extrême font partie des bases de la recette, et ce sont ces ingrédients qui font toute la saveur du Schlager, tout du moins dans sa forme traditionnelle : accent des montagnes, tenue des montagnes, décors des montagnes, et pas n’importe quelles montagnes : celles des patelins reculés entre le Sud de la Bavière et le Tyrol autrichien, en lorgnant un peu sur la Suisse et le Liechtenstein. Vous voyez déjà les clichés.

Enfin ça c’était surtout vrai avant. Car le Schlager était déjà passé de mode depuis les années 60/70, laissant sa place au rock’n’roll et autres musiques plus couillues - disons plus dans l’air du temps -, puis avait définitivement changé d’allure dans les années 80 et l’apparition des instruments électroniques, reléguant le Schlager originel au rang de musique pour les anciens. Malgré tout, le Schlager reste un phénomène à part entière dans les pays germaniques, une exception culturelle, si bien qu’on assiste depuis quelques temps à un gros revival du genre avec des émissions lui étant entièrement consacrées, des télés-crochets, et même sa propre cérémonie de remise de prix. Même les clubs branchés s’en emparent, explorant et remixant le genre à tout va. C’est donc une scène Schlager modernisée qui a fait son apparition, avec ses nouvelles têtes de gondole (Hélène Fischer, par exemple, est une grosse vedette en Allemagne). Le Schlager moderne s’apparente plus à de la musique formatée pour les radios, avec des sonorités pop/dance et n’a de “Schlager” plus que le nom, mais permettez-moi d’être vieux jeu : selon moi rien ne vaut le bon vieux Schlager à l’ancienne. Admirez, écoutez et imaginez-vous à la fête de la bière de n’importe quel trou paumé de Bavière : Die Mayrhofner - Schei-wi-dei-wi-du (HQ) C’est magnifique.

Et attention, le Schlager déboule en force en Alsace paraît-il, pratiqué par de jeunes chanteurs du cru, aussi bien en allemand qu’en français. La France est pas prête. Tiens toi bien SCH !

 
 

Le fado, l’arrache-coeur

Bon, disons le tout de suite, on va changer de décor, quitter l’Est de l’Europe et plonger tout droit dans une ambiance… disons légèrement plus mélancolique. Si le disco-polo et le Schlager n’ont une renommée que relative dans leurs pays respectifs, le fado, lui, peut être défini comme l’âme de son pays, l’expression de toute une nation, en l'occurrence le Portugal… au point d’avoir été classé au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2011 (prends ça disco-polo… prends ça Schlager !) qui le décrit comme étant “la synthèse multiculturelle de danses chantées afro-brésiliennes, de genres traditionnels locaux de chants et danses, de traditions musicales des zones rurales du pays apportées par les vagues successives d’immigration intérieure, et des courants de chant urbain cosmopolite du début du XIXe siècle”. Il existe d’autres versions dans lesquelles le fado serait un dérivé des chants qu’entonnaient les marins portugais.

Cette reconnaissance récente peut s’expliquer par le fait que le fado est longtemps resté inaccessible au reste du monde pour cause de dictature… Aujourd’hui, c’est devenu une véritable curiosité touristique. Si vous avez déjà eu la chance de vous égarer dans quelques rades de Lisbonne, vous n’y avez sans doute pas échappé : un chanteur seul, ou une chanteuse seule, entouré(e) de quelques guitares dont la fameuse guitarra typiquement portugaise, qui vous chante la saudade (ce mélange indescriptible de mélancolie, de nostalgie d’un empire et d’une gloire perdus - ou jamais atteints, et d’espoir) à vous en faire chavirer votre pauvre petit coeur qui n’en demandait pas tant (à la base on était juste venus manger de la sardine grillée et boire de la Super Bock). Le fado peut en effet être la musique la plus triste au monde (après tout, le terme “fado” vient du latin fatum, le destin, et visiblement, le destin d’un portugais, c’est pas drôle…), mais elle sait aussi se faire un peu plus joyeuse et dansante, même grivoise par endroits, empruntant alors aux allures plus machistes du tango (en fait, on considère qu’il existe deux genres de fados distincts, celui de Lisbonne - en gros, le fado “typique” que l’on chante aujourd’hui pour les touristes - et celui de Coimbra, celui des étudiants qui veulent séduire les demoiselles ; mais on ne s’épenchera pas plus sur les détails ici).

Bref, le fado est une musique qui vous envoûte, et le contexte, le lieu dans lequel vous l’écouterez est primordial pour en faire pleinement l’expérience.

La chanteuse de fado la plus célèbre au Portugal, c’est sans conteste Amália Rodrigues, la mère du fado moderne (façon Lisbonne), dont les cendres reposent au Panthéon national.

Pour le fado de Coimbra, on citera par exemple José “Zeca” Afonso :

 

A travers ces trois exemples on aura donc compris que la musique dite folklorique ne signifie pas forcément musique à laquelle s'identifie tout un peuple, d’autant plus que le terme de “folklorique” peut sembler galvaudé de nos jours (on l’associerait plus facilement à des sonorités du passé, voir médiévales), notamment depuis l’apparition des instruments électroniques dans l’ensemble des productions, qui, à force de les standardiser, finissent par les rendre ringardes.

Or, bien qu’elle puisse créer des clivages au sein-même de son pays, elle fait néanmoins partie de son identité, son patrimoine, son héritage culturel. En dehors de l’Europe, on peut citer le cas de la musique country par exemple, très estampillée “Texas et rednecks” et qui ne fait pas forcément l’unanimité auprès de tous les mélomanes du pays. Bien souvent, on joue sur les clichés, pour le meilleur et pour le pire.

Bien sûr, trois exemples ne suffisent pas à définir de manière définitive ce qu’est la musique traditionnelle. Comme je vous le disais en introduction, il en existe moult et moult à travers le monde et en faire une analyse exhaustive serait un travail de bien longue haleine - si tant est qu’il soit possible. Certaines sont mortes (le skiffle) ou ont laissé leur place à d’autres styles, d’autres se sont popularisées avec le temps… Certaines résistent aux influences occidentales, d’autres se débattent face à des rivales plus calibrées pour l’international (cantopop vs. K-Pop). Certaines s’exportent via les vagues migratoires et ont droit à leurs heures de gloires (coucou le raï) quand d’autres sont vouées à ne s’exprimer que dans un périmètre régional restreint, voire des tribus spécifiques comme c’est le cas dans certaines régions d’Afrique…

Le monde est vaste et l’histoire de la musique l’est d’autant plus. Et le fait qu’elle puisse encore avoir des secrets à l’heure d’internet et des intelligences artificielles, quelque part, ça a quelque chose de rassurant. Vous ne trouvez pas ? Bien sûr que je pourrais vite zapper un morceau de disco-polo, de Schlager ou de fado au profit d’un tube américain actuel. Mais savoir que ça existe, ça suffit pour satisfaire ma curiosité. Et qui sait, peut-être que vous vous prendrez bientôt de passion pour l’un d’entre eux, ou tout autre genre d’un pays plus ou moins lointain. Bande de petits curieux que vous êtes !

Guillaume Ferrand
écrit le vendredi 2 février 2024 par

Guillaume Ferrand

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

Voir d'autres articles

mis à jour le vendredi 2 février 2024

Encore curieux ?