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Chronique d’une obsession pour Népal

écrit par Hugues Ranjard le jeudi 9 novembre 2023

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Chronique d’une obsession pour Népal

 

Le rap est omniprésent. Sa popularité pourrait aujourd’hui s’apparenter à celle que rencontrait la variété française dans les années 60-70-80. La France est connue pour sa scène rap, plus particulièrement pour celle qui nous a bercée, le rap des années 90-début 2000. On y est, les membres d’IAM, NTM ou encore Mc Solaar ont 50 balais. Leur héritage est grand, tout comme leur influence sur ce genre. 

Me concernant, la nouvelle scène rap peine à arriver à la cheville de certains noms cités précédemment. Les textes prennent moins de place. L’Auto-Tune, qui sera d’ailleurs probablement désuet dans les années à venir, est largement trop utilisé. Bien évidemment, des choses sont à prendre dans la scène rap d’aujourd’hui, cette chronique n’est pas faite pour dire que c’était mieux avant. Elle est faite pour honorer Népal, rappeur indépendant, artiste complet qui nous a tragiquement quitté il y a aujourd'hui quatre ans... 



Chronique d’une obsession pour Népal

C’était pendant une partie de billard il y a un mois de ça que Népal a raisonné pour la première fois à mes oreilles. Plus tard dans la journée, j’écoute le Full album Adios Bahamas, sorti le 10 janvier dernier (oui je suis en retard…). Qu’importe, je sens à ce moment là que ce n'est pas une simple découverte. La recherche Wikipédia fut fatale, Népal est mort il y a de ça 9 mois. Comment ? On ne le sait pas. On ne connait même pas son visage. Népal a choisi l’anonymat, pensant probablement (et à raison) que c’est bien la musique plutôt que le culte de l’image et de la personnalité qui importe, devenu aujourd'hui une part si importante dans le marketing de la musique. Sa communication sur les réseaux sociaux était également très minimaliste. 

Dans les jours qui suivent ma découverte de Népal vient la deuxième, troisième, quatrième, cinquième écoute de l’album. Les morceaux sont alors de plus en plus clairs, leurs noms, leurs enchainements. La magie opère, l’album devient essentiel. Les trajets de métros, trains, vélibs sont devenus une aubaine dans l’idée d’écouter Népal.   

 

Qui es-tu Népal ? 



Chronique d’une obsession pour Népal

Népal, de son vrai nom Clement Di Fiore né dans le 14ᵉ arrondissement de Paris en 1990. En plus d’être rappeur, Népal était également producteur, beatmaker, compositeur, graphiste et vidéaste. Il signait ses prod sous le nom KLM et trois medleys sous le nom Grandmaster Splinter. Son pseudonyme Népal n’a rien d’anodin et en dit long sur sa personnalité. Népal voulait combattre la négativité du monde, il se retrouvait dans la spiritualité orientale, plus particulièrement le boudhisme. L’influence de l’Asie se retrouve donc bien dans sa musique, l’esthétique et la finesse de ses prods tirent clairement leurs inspirations du Japon. 

En 2009, Népal co-fonde le collectif de la 75ᵉ session (collectif mêlant rappeurs, vidéastes, graphistes, beatmakers, qui pèse dans l’underground parisien). En parallèle, il forme le duo 2fingz avec Doums. Népal était aussi un proche de l’Entourage, du groupe 1995 et du projet Les Gars Laxistes. Le grand public a pu en partie découvrir le flow de Népal sur le morceau Esquimaux de Nekfeu (de l’album Cyborg) et sur le morceau Lucy (avec Doums) de Lomepal tiré de l'album Flip

Entre 2014 et 2018, Népal sort différents types de projets aux ambiances très différentes. Parmi les (très) notables se trouvent 444 Nuits, 445e nuit (sorti exactement 444 jours après 444 Nuits) ou encore KKSHISENSE8. Tous ces projets étaient sortis gratuitement sur un site dédié. L’EP 444 Nuits a été téléchargé plus de 60 000 fois. 


 
  Chronique d’une obsession pour Népal

Népal tenait absolument à garder l’anonymat, il n’apparaissait qu’encapuchonné, cagoulé, masqué et maquillé. En parcourant des vidéos YouTube, certains fans pensent que Népal ne voulait pas dévoiler son apparence dû à certains complexes. Nous n’en savons pas vraiment plus. Pendant 1 mois et demi d’écoute, je ne mettais donc pas de visage sur ce qui berçait mes journées. À force de recherches, de commentaires YouTube, j’ai enfin pu apercevoir son visage sur un planète rap de 2015 avec Sneazzy et Mister V. Ça se passe ici, à partir de 4 min 30. 

En 2017, Nepal est invité par Lomepal pour un nouveau planète rap. Cette fois-ci, il est encapuchonné, Skyrock a respecté son choix d’anonymat. En seulement 2 min au mic, on se rend bien compte que le flow, les mots de Népal sont différents (filmé de dos, à partir de 8,02 min). On voit un Lomepal émerveillé, murmurant à son pote de gauche une phrase du genre “tcheck ce mec, c’est un malade”. Népal y interprète le morceau Teczer, tiré de l’EP KKSHISENSE8. 

 

 
 


 

  Rien d’Spécial. 



Chronique d’une obsession pour Népal

Après l’écoute d’Adios Bahamas, la route était ouverte vers ses autres projets (dont je parlais précédemment). En 2019, encore de son vivant sortait l’album 2016-2018 qui compile 14 morceaux de ses précédents EP. C’est donc là que Rien d’Spécial tombe. Direction YouTube. Un clip filmé à Tokyo, Népal qui marche, filmé de dos, entre ruelles tokyoïtes, crossing point de Shibuya, ligne de métro JR. Rien d’Spécial devient donc très vite une dépendance. En regardant la date de sortie du clip, le 4 juillet 2016, je me suis demandé ce que j’ai bien pu foutre pendant ces 4 années pour passer au travers de ce morceau. Vaut mieux tard que jamais. 

“Ce son il a rien d’spécial, l’instru elle a rien d’spécial”. C’est peut-être ce refrain qui rend ce morceau totalement insolent de maitrise. L’influence du Japon (en partie de Nujabes) se fait bien ressentir dans les prods de Népal, et ça depuis ses débuts. Rien d’Spécial a donc tout de spécial. Durant un concert à Bordeaux, Népal déclare à la fin du morceau : “Bon, la moralité c’est qu’on a tous quelque chose de spécial ici nan ?”. Chacun trouvera le message qu’il souhaite en écoutant ce texte. 

Peu sont les chanceux qui ont pu assister à un concert de Népal. Il n'existe que quelques vidéos sur YouTube le montrant en action sur scène. C’est en voyant ces vidéos live, et plus particulièrement son interprétation de Rien d’Special (et celle du public) à la Maroquinerie que je me suis rendu compte du phénomène. Les larmes sont montées plus d’une fois en regardant cette vidéo, même au moment d’écrire cet article, sur la terrasse d’un bar sur le port de l’ile d’Yeu. Les gens autour me regarde, perplexe : “mais pourquoi il pleure celui-là ?”. Durant ce concert à la maroquinerie, Népal y est maquillé, sautillant pendant son flow, touché de voir un public chanter son texte à la perfection. 

 

 

Adios Bahamas

 

 

Chronique d’une obsession pour Népal

Ma découverte de Népal a donc été avec L’album Adios Bahamas, sorti le 10 janvier 2020, soit trois mois après sa mort. Il avait passé plusieurs années sur le développement de ce disque. Je n’avais alors aucune connaissance de ses précédents projets. Dans son ensemble, ce disque est un quasi sans faute. Népal a fait le choix de la lenteur, de la sobriété avec toujours des prods hors du commun. Il prend de la hauteur et nous dépeint un monde qu’il questionne et remet en cause avec mélancolie et sagesse. Un monde où “Les yeux fermés dans le noir je sais ce qu’il me reste à faire”. Avec Adios Bahamas, Népal prenait un tout autre chemin que dans le passé. 

L’album s’ouvre sur Opening, des bruits de mouette, le souffle de Népal, la voix d’un homme japonais qui résume parfaitement bien l’état d’esprit dans lequel était Népal au moment d'écrire : “Népal, ayant percé les derniers mystères, tout en purifiant ses émotions sur une ile déserte au soleil qui brille de mille feux, réfléchissait calmement à l’état de l’homme et profitait de vacances oniriques”. Boulversé par le Japon après y avoir passé 6 mois en échange, cette introduction était alors de bonne augure. Ennemis, Pt 2, le deuxième morceau, en featuring avec Di Meh m’a laissé perplexe. Je suis moins fan, j’attends la suite. 

C'est En Face, un feat avec Nekfeu qui suit Ennemis, Pt 2. C’est à partir d'ici que l'album démarre réelement, avec des textes, profonds, philosophiques, anti-système et surtout, anti-violents. 

 

“Est-ce que ma vie s'résume à générer du cash? (Nan)
Est-ce que je vais subir le produit d'mon éducation? 
Est-ce que si j'reçois d'la violence, j'la redistribue 
Ou bien j'consolide mon armure pour stopper la dégradation”

 

En avant pour la grosse claque : Trajectoire démarre. C’est bien là que se fait sentir toute la mélancolie de Népal, ses questionnements, cette fragilité si agréable à l’écoute d’un morceau de rap. Au début du morceau, la pluie tombe. À la fin, les mouettes chantent. Népal, lui, chante son spleen, il y fait l’éloge de la musique en comparaison aux humains. “La caisse-claire est digne de confiance au milieu d’tous ces humains”. Les Bahamas, ce n’est pas pour lui. Chez lui, c’est Paris. “Au bord d’la mer j’saurais même pas quoi y faire”. Le sort terrible qui s’est abattu sur Népal rend certaines phrases difficiles à entendre : “J’reste cool en concert, j’ai un avenir à rencontrer”. Les textes de Népal donnent à réfléchir, à se questionner sur le monde qui nous entoure.

 

“Faut pas qu'on oublie la magie qu'y'a dans nos iris
Te laisse pas désarmer, la réalité, tu la crées en partie
Chaque action : un grain dans l'sablier qui t'est imparti”

 

“C'est quoi la vie si j'peux pas aimer mes gens ?
C'est quoi la vie si j'peux pas élever mes sens ?
C'est quoi la vie si j'peux pas en donner un peu ?
Humilité et force d'aller plus loin quand j'm'en remets à Dieu
C'est quoi la vie si j'peux pas donner l'échange ?
C'est quoi la vie si j'peux pas doubler mes chances ?
C'est quoi la vie si j'peux pas l'apprécier un peu ?
Humilité et force d'aller plus loin quand j'm'en remets”


Les 4 morceaux suivant l’ombre de Trajectoire se trouvent être beaucoup plus ensoleillés et légers que les précédents. Népal, en plus de rapper, nous montre qu’il est également un mélodiste, capable de chanter. Il réussit à s’extirper de l’unique étiquette rap comme réussissait à le faire dans le passé un certain Eminem. Cette fibre mélodique et chantée, Népal ne l’avait que très peu explorée dans ses précédents projets, c’est probablement ce qui rend Adios Bahamas différent. Népal était un gars laxiste, qui souhaitait vivre comme il l’entendait. Passer des heures en studio, créer. C’est ce qu’il dit dans le morceau Vibe en feat avec Sheldon : 

 

“Si j'y capte une vibe, j'pourrais rester toute la journée au studio
Si j'y capte une vibe, j'me mettrais pas sur autre chose
Si j'y capte une vibe, j'pourrais rester toute la journée sans dispo
Si j'y capte une vibe, j'me mettrais pas sur autre chose”

 

La prod du morceau est très épurée, une ligne de basse qui rebondit, des rythmes qui s’assemblent petit à petit. Beatmaker, c’est un autre talent que détenait Népal. On entend aussi dans ce morceau les idées anti-capitalistes de Népal, qui ne sombre jamais dans la violence, mais plutot dans l’harmonie et la paix. 

  Chronique d’une obsession pour Népal



“T'es responsable de ce que tu fais mais aussi de ce que tu fais ap
Les mauvais choix commis, les bons qu'on aurait pu faire
Et la finalité qu'on trouvera surement pas dans l'oseille”
“Le système, l'ennemi, je me bats en étant moi-même en paix
Dans cette folie, échec et victoire deviennent complémentaires”


 

Népal aime jouer, la beauté d’un geste, plutôt que la compétition. C’est ce qu’il nous fait comprendre dès la première line du couplet de Lemonade. 2 min 22 suffisent pour savoir qu’on réécoutera forcément ce morceau, c’est carré, clair. Népal fait du hip pop. Les backs sont toujours placés au bon moment et jouent un role très important tout le long de l'album. 

 

“Si j’mets des switch c'est pour le bruit
Pas pour le score (même pas pour le score)”
“Beau comme surfer une avalanche, on va l’faire pour le sport”


  

Là-bas, le morceau qui suit était sorti en single, accompagné d’un clip. Il se démarque des autres morceaux de l'album. Népal a choisi ici de mettre un léger auto-tune sur sa voix. Là-bas frappe moins que les précédents morceaux mais ce n'est que partie remise... 

C’est l’évident Sundance, probablement le morceau le plus streamé et connu de l’album qui rentre ensuite dans la danse. Népal fait une comparaison entre sa vie et le festival du film de Sundance, très célèbre festival de cinéma américain indépendant. La plupart des films qui y sont présentés privilégient des récits lents, où l’image et la beauté des plans prennent le dessus sur le reste. Népal fait ensuite référence à la très célèbre phrase de Jean Paul Sartre, “L’enfer c’est les autres” 

 

“Du lundi au Sunday, bloqué dans ma tête
Ma vie, c'est un film de Sundance, des fois il s'passe r
J'préfère rester en dehors des ennuis
Mais j'ai deux, trois plavons si tu t'ennuies


Tout ça, c'est les autres
On va laisser ça aux autres
Puisque l'enfer, c'est les autres
Pourquoi vouloir faire comme les autres?”

  

Si un feat était attendu dans l’album, c’est probablement celui avec Doums, son acolyte de toujours. Les fans de 2fingz n’ont pas dû être déçus en écoutant le nonchalant Millionaire, un des meilleurs morceaux de l’album. C’est encore une fois un message contre le capitalisme et la superficialité que nous récite Népal. 

 

“On sent qu'on s'encule avec ce train d'vie (ce train d'vie)
Vous faites la course mais y'a pas d'ligne d'arrivée (nan nan nan nan)
Plutôt que d'être de ceux qu'ont l'seum de vivre (seum de vivre)
J'vais rider jusqu'à finir inanimé (ouais, ouais, ouais)
J'parle pas d'faire d'la mala avec un red cup (un red cup)
Plastique dans tes boobies, pétrole dans ton make-up (make-up)
Si j'vois une faille (faiiiille), j'fonce dedans (ok)
Ce monde tourn'ra rond seulement si j'le prends à contre-sens”

 

L’album se conclut parfaitement avec les 3 derniers morceaux. Accompagné de 3010 sur Sans voir, Népal nous chante “Avancer sans voir, avec le cœur ouvert, avancer sans voir / Avancer sans voir, avec les yeux fermés, avancer sans voir”. La prod du morceau est une nouvelle fois très originale et épurée. Népal compare ensuite sa vie à un crossfader (le potentiomètre vertical sur la table de mixage qui  permet de passer d’une piste à une autre) sur le morceau du même nom, rythmé par une guitare électrique parfaitement en place. “J’ai toujours mené ma life en crossfader.” Sur Crossfader, Népal se permet même des harmonies voix.

Le single Daruma clôt le débat de la meilleure des manières. Il est sorti, accompagné d’un clip le 10 décembre 2019. Preuve en est que Népal était prêt pour la sortie de ce disque, tout était là… C’est donc un album sage, mélancolique et juste qu'il nous avait concocté. Son entourage a récemment annoncé la sortie physique d’Adios Bahamas, dont une édition vinyle limitée, pressée en 444 exemplaires, en hommage au projet 444 Nuits. (déjà épuisé, il me semble avoir commandé le tout dernier, sorry…).  Pour les intéressés, des CDs et versions vinyle “normales” seront disponibles à partir du 4 septembre prochain. 

En dehors d'Adios Bahamas, les précédents EP de Népal sont également à écouter de toute urgence. Des projets comme 444 Nuits, 445ᵉ nuit ou encore KKSHISENSE8 nous montrent toute la diversité et créativité de Népal. Son entourage a annoncé qu'il avait également prévu la sortie de 5 singles après Adios Bahamas, dont 2 étaient déjà clipés, à suivre. Peu de temps après sa mort, la chaine YouTube Le Règlement avait rendu un vibrant hommage à Népal avec la vidéo “La vision de Népal”, à regarder pour en savoir encore plus sur le personnage. Népal avait d’ailleurs fait un freestyle pour la fameuse chaine YouTube. L'histoire derrière ce morceau est bluffante et très représentative de qui était Népal (cf la fin de la vidéo). 

L’émission Clique sur Canal a également rendu hommage à Népal en invitant ses proches, tous masqués. À la question de Mouloud : “Comment définir la musique de Népal”, Sheldon la résume alors de la meilleure manière possible, en un seul mot : “mieux”. Tout est dit.

En septembre dernier, la famille de Népal a tenu à respecter ses derniers souhaits avant sa disparition. 5 morceaux inédits ont ainsi été mis en ligne, les derniers originaux que l'on pourra entendre de Népal... 





Je pourrais encore continuer à parler de la musique de Népal, mais il faut bien s’arrêter à un moment donné. Si vous êtes arrivés jusqu’à la fin de cet article, merci d’avoir pris le temps de lire ce que j’ai voulu écrire avec le cœur et passion. Tous ses projets sont présents sur YouTube pour les plus désireux d'entre vous. Népal manque déjà à la scène rap française, mais son héritage est grand. Il doit maintenant probablement surfer un grand rouleau de nuage, là-haut. Comme il le disait lui-même : “Après le rap j’irai faire du surf”. 

Chronique d’une obsession pour Népal
 
Chronique d’une obsession pour Népal









 
Hugues Ranjard
écrit le jeudi 9 novembre 2023 par

Hugues Ranjard

Rédacteur en chef pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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