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1969 par Murakami Ryû : une jeunesse japonaise sous fond de Stones et Grateful Dead 

écrit par Felix Delamare le mercredi 19 juillet 2023

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1969 par Murakami Ryû : une jeunesse japonaise sous fond de Stones et Grateful Dead 


Les lectures d’été laissent bien souvent deux sensations différentes. Il y a les textes que l’on lit sans y penser, pour se détendre, passer le temps, puis il y a ceux qui nous embarquent.  Attiré irrépressiblement, on se retrouve dans un monde nouveau aux côtés de personnages, touché par leurs mots, leurs maux et leurs aventures. 1969 de Ryû Murakami est de ce calibre, il nous plonge dans un Japon schizophrène de la fin des années 60, à la fois écrasé par l’impérialisme américain et ensorcelé par sa littérature, ses groupes de rock et ses poètes aux esprits libertaires. La jeunesse commence alors à déceler le cycle parfaitement réglé de la machine dont ils sont les rouages. Cette réussite miragineuse de normalisation sociale, rester rangé au lycée, décrocher la plus prestigieuse des universités et revêtir le costume du Salaryman. Dans leurs esprits abreuvés à la culture de masse, le désir de révolution se fait peu à peu place, porté par les mots de Dylan, les riffs des Yardbirds et les expériences psychédéliques  de ceux qui feront entrer en cette même année, un certain festival dans la légende. 

1969 par Murakami Ryû : une jeunesse japonaise sous fond de Stones et Grateful Dead 

À la lecture de la 4ᵉ de couverture, tout féru de musique sait qu’il se sentira chez lui dans l’univers du récit : « 1969. Annulation des examens d'entrée à l'université de Tôkyô. Les Beatles sortent Yellow Submarine et Abbey Road. Du côté des Rolling Stones, c'est l'année de Honkey Tonk Women, leur meilleur quarante-cinq tours… Murakami raconte ses souvenirs de lycéen en cette belle année 1969, quand la jeunesse lisait Rimbaud en écoutant Iron Butterfly, en rêvant de révolution et de filles. » Pas trop dépaysé ? Alors on y va ! 


Kensuke, rockeur poète à la langue acérée 

« Je me suis conservé enfant par refus d'être un homme », Romain Gary 

 

L’auteur entre dans la peau de Kensuke allias Ken, jeune garçon fougueux originaire de la ville de Sasebo dans le Kyushu. À coups d’humour tranchant et de vulgarité inventive, il nous embarque à ses côtés au rythme de sa dernière année de lycée. L’autobiographie romancée capture cet état d’entre deux mondes à l’orée de l’âge adulte qu’est l’adolescence. Armé de ses vinyles de Simon and Garfunkel, Cream, Grateful Dead et de sa gouaille, Ken se lance corps et âme dans une quête qui dicte son quotidien en despote… séduire Kazuko Matsui, la Jane Birkin du lycée. 

Adolescent, tous les problèmes du monde aussi abjects soient-ils, sont relégués au second plan de nos distractions lorsque l’on est animé par l’art. L’influence mentale est accrue si l’on se bousille les tympans avec les riffs des Beatles. Sans même parler des dégâts que peut engendrer la perversion de la poésie torturée de Rimbaud.  

Kensuke grandit dans un Japon en pleine crise identitaire, lui en revanche sait très bien qui il est. Ses racines poussent arrosées d’un engrais concentré en malice, ruse et intelligence. Dans son lycée, il est un olibrius perturbateur, vulgaire et vicieux. Il passe son temps à bomber le torse, à faire sonner ses cordes vocales lustrées au bagou pour ensorceler ses camarades ignares. 

Il propage les préceptes de sa culture littéraire française, bien que sa richesse soit en majeure partie constituée de titres de romans appris par cœur. Il exhibe sa collection de vinyles psychédéliques inestimable, sauf si l’on retire les disques « empruntés » à ses amis ! Ce bagage culturel, unique dans sa ville portuaire, n’a aucun mal à semer la discorde dans les esprits artistiquement vierges de ses compagnons de classe. Vous l’aurez compris, Ken est un de ces êtres tout en frémissements, plus que vivant, il canalise comme il peut le tumulte d’émotions qui tourbillonne en lui.  

Au détour d’une conversation avec ses amis sur les questions : « Janis Joplin pète-t-elle aussi rauque qu’elle chante ? » et « Robert Plant a-t-il les couilles atrophiées à cause de ses pattes d’eph trop serrées ? ». Bon ok celle-là est de moi -, il croise sa colombe. Cette déesse à l’allure éthérée n’est autre que la plus jolie fille du lycée, Kazuko Matsui. Ken va mettre à profit son âme d’enfant, sa ruse et toute son imagination pour atteindre le but ultime, embrasser Kazuko. 

1969 par Murakami Ryû : une jeunesse japonaise sous fond de Stones et Grateful Dead 


« J’ai toujours rêvé d’une fête qui ne prendrait jamais fin. » 


L’adolescent, âme chargée d’art et de fête érige son désir charnel au rang de défi, s’arme d’insolence, d’espoir et de témérité pour se lancer à corps perdu dans sa quête d’amourette. Au cours des 365 jours dont il dispose avant les adieux déchirants vers l’âge adulte, il met en place un plan en deux actions.  

La première partie du récit nous plonge dans le soulèvement social qui secoue l’archipel, l’ambiance de l’époque n’est pas sans rappeler mai 68. Les regroupements étudiants se tapent la tête entre marteau et enclume, la violence croît, le mouvement se radicalise. Ken, en bon arty, compte bien rendre ses lettres de noblesse à l’acte de révolte en suivant les traces de Dylan, Camus ou Sartre. Il mise sur l’image de l’intellectuel révolutionnaire pour s’attirer admiration et louange, un grand classique ! 

Murakami Ryû a toujours rêvé d’une fête qui ne prendrait jamais fin. Pour donner vie à cette idée, Ken et sa bande se lancent dans la production d’un festival indépendant foutraque sur toute la seconde partie du roman. Elle les mènera des collines japonaises aux coupes gorges tokyoïtes, sous fond de rock psychédélique et de références à la scène japonaise de l’époque. 

Une mine d’or pour découvrir de nombreux groupes et compositeurs nippons tels que Takuro Yoshida et ses balades poétiques Folk Rock, ou Nobuyasu Okabayashi et la douceur de sa voix accompagnée par le piano en toute simplicité. 

L’auteur fait revivre habilement cette sensation adolescente d’un contact avec son premier amour. L’image de Kazuko évoque une beauté angélique, auréolée d’une sensation de liberté et de rock psychédélique. Cette période d’amitié sincère, d’amour passionnel, rendue immortelle par la place qu’elle garde dans l’imaginaire, porte un pouvoir évocateur imbattable. Illusionniste armé de sa plume, il nous fait rêver sans jamais fléchir d’une fête qui ne prendrait  jamais fin. Il nous convoque, lectrices et lecteurs, le temps d’un instant d’immersion, au sein d’une époque qui en fait rêver plus d’un.

Felix Delamare
écrit le mercredi 19 juillet 2023 par

Felix Delamare

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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mis à jour le mercredi 19 juillet 2023

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