Rosalìa : un témoignage moderne
Rosalía Vila Tobella (Rosalìa) revient en force cette année avec la sortie de son - hautement attendu - troisième album : Motomami. L’artiste catalane surprend une nouvelle fois par une musique post-moderne qui séduit, provoque et réconforte.
De la tradition à l’expérimentation :
Si Rosalìa en est là aujourd’hui, ce n’est pas par hasard. Alors âgée de 13 ans, elle découvre l'œuvre de Caramròn de la Isla, figure emblématique de la chanson gitane, qui l’inspirera à suivre des études de musique. Elle finit son parcours à L’École Supérieure de Musique de Catalogne où elle excelle grâce à son point de vue neuf, infusé de références à la musique flamenco traditionnelle. En 2015, elle commence sa carrière en solo et sort, un an après, son premier disque : Los Àngeles.
Ce premier album est co-signé par le producteur Raül Refree, qui repère l’artiste lors d’une représentation au Tablao del Carmen, lieu culturel barcelonais. Ce premier projet est imprégné de sonorités latines, l’occasion pour Rosalìa de nous faire découvrir sa large gamme vocale. Bien que les mélodies et les paroles de cet album reprennent les codes du flamenco, on reproche à l’artiste de ne pas être assez traditionnelle et le disque ne sera pas accepté dans la catégorie flamenco au Latin Grammy Awards 2017. L’artiste a également été visée par des accusations d'appropriation culturelle, en exploitant notamment la culture latine américaine, qui n’est pas la sienne. À cela Rosalìa répond : “Il y a clairement un lien entre la musique espagnole et la musique latine, un lien que j’aime explorer.” (The Fader, Mai 2019).

Cette réception et les critiques de son premier album mènent la chanteuse à expérimenter davantage sur son deuxième disque, El Mal Querer, projet qui marque son ascension internationale. Cet album, qui est également son mémoire de fin d’étude, a conquis en dehors des frontières espagnoles. Elle s’inspire du roman anonyme du 13ᵉ siècle : Flamenca, contant une histoire d’amour toxique et sombre entre un couple de jeunes mariés. L’homme étant tombé dans une jalousie si profonde, finit par enfermer sa femme. Ce récit inspire à la chanteuse onze chapitres, dans lesquels elle se questionne sur l’amour, ses significations et ses représentations. Une opportunité pour elle d’affirmer son féminisme et sa volonté de déconstruire les normes patriarcales. Sa musique se lit indéniablement comme une poursuite de sens. Si le message de l’album lui permet de parcourir des thèmes qui lui tiennent à cœur, elle se sert également de la musique comme terrain de jeu. Hip-hop et sonorités gitanes se marient et se fondent dans chacun des chapitres qu’elle nous présente. Ainsi, elle ouvre la porte à un nouveau genre musical, indéfinissable et qui lui est propre.
Motomami : la consécration de sa modernité.
En 2022, elle nous livre son troisième opus, Motomami. Rosalìa concrétise et marque d’un fer rouge sa vision novatrice de la musique. En mélangeant une identité visuelle moderne, reprenant les codes et les attentes de la “Gen Z” ainsi que des morceaux se baladant entre rap, reggaeton, folk latino ou encore electro, elle cristallise son anti-conformisme. Si El Mal Querer était un album majoritairement flamenco, Motomami est une explosion de références variées allant au-delà des sonorités, elle puise aussi dans d’autres cultures et traditions telles la culture japonaise.
Pour la couverture, elle pose presque nue, calquant la posture de la Vénus de Botticelli, en ne portant qu’un casque de moto et des faux ongles blancs. Encore une fois, elle montre qu’elle n’a pas peur et souhaite se présenter comme le lien entre tradition et modernité, une dichotomie qui se retrouve aussi dans les morceaux de ce troisième album. Des chansons comme Saoko, CUUUUuuuuuute ou encore Bizcochito, aux influences électroniques, alliant synthétiques et vocoder accompagnent des pièces comme Hentai ou Delirio de Grandeza, des ballades plus crues et brutes notes acoustiques et cuivrées.

La musique de Rosalìa est une lettre d’amour à la persévérance et au courage. Morceau après morceau, elle montre qu’elle n’a pas peur d’aller au-delà de ce qu’on lui demande, faire du neuf avec ce qui est et ce qui a été. Dans le puissant Hentai, où l’artiste parle de désir sexuel, elle crée une progression sonore, imitant la sensation d’un orgasme. La chanson commence par une pièce de piano lente pour finir sur un bruit de mitraillettes, qu’elle utilise comme métaphore du climax, répétant le refrain : “So so so good”. Un témoignage de résistance et la preuve qu’elle a compris les thématiques fédératrices de notre société et qu’elle sait se les approprier pour les redéfinir.
Avec El Mal Querer, Rosalìa a su s’insérer dans la petite lignée d'artistes hispaniques ayant réussi une ascension internationale comme Enrique Iglesias. Avec Motomami, elle prouve qu’elle fait non seulement partie d’une tradition musicale et culturelle mais aussi qu’elle en crée une nouvelle. Des artistes comme Six Sex en Argentine ou Chéri en France explorent un genre importé par Rosalìa, un genre qui se veut comme destructeur de frontières, qui se lit comme miroir de notre époque.