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La littérature du care de Lana Del Rey 

écrit par Mel le vendredi 24 mars 2023

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 La littérature du care de Lana Del Rey 

Did You Know That There's A Tunnel Under Ocean Blvd est le journal intime d'une Virginia Woolf moderne. Le neuvième album studio de l'autrice-compositrice-interprète Lana Del Rey incarne une fois de plus son univers bien particulier, transpirant de nostalgie et de rétrospection. 

La littérature du care de Lana Del Rey 

Lana Del Rey trouve dans l'erreur la métaphore d'une porte d'entrée en entamant son dernier album par une maladresse. Dans « The Grants », on entend Melodye Perry, Pattie Howard et Shikena Jones, chanteuses gospel, bafouiller, rigoler, recommencer. Dès les premières notes, le ton est donné : exit la musique parfaitement construite et produite, les projets tirés à quatre épingles, place à la confession et au questionnement. Autant dans le fond que dans la forme, Del Rey s'éloigne, comme à son habitude, du conventionnel. 

Dans Ocean Blvd, elle emprunte des techniques narratives telles que le flux de conscience pour s'exprimer avec authenticité. Elle se livre sur son héritage familial et ses doutes face à l'avenir. Elle nous parle, et se parle, avoue ses peurs. « Don't forget me / When's it gonna be my turn » pleure-t-elle dans la chanson éponyme. Cette peur d'être oubliée, comme ce fameux tunnel en dessous d'Ocean Boulevard dont elle fait référence. Ce titre à rallonge prend ainsi tout son sens. Un tunnel de doute, métaphore de sa carrière. Incomprise par la critique, détestée, épiée, Del Rey a dû survivre aux couteaux les plus aiguisées. Aujourd'hui reconnue comme pionnière dans la création d'un genre musical qui lui est propre et dont une grande partie de l'industrie musicale s'inspire, de Billie Eilish à The Weeknd, elle apparaît apaisée.  Dans cet album, elle nous montre qu'elle a bien réussi à trouver la lumière au fond du tunnel, chantant en chœur avec Father John Misty « Let the light in » dans l'une des dernières chansons du disque. 

Dans « A&W », elle fait une ode à son personnage de « gangsta-Nancy Sinatra ». Elle se réapproprie son corps, se réaffirme. « This is the experience of being an American Whore »  explique-t-elle avec une ironie incisive, avant de nous introduire à des sonorités glitch-pop et trap qui rappellent ses débuts. Toute cette chanson se vit comme une prise de cocaïne. Lors des trois premières minutes, on entend une progression de piano et de guitare de plus en plus agressive puis les battements de cœurs s'accélèrent et laissent place aux synthés. « Jimmy Jimmy cocoa puff / Jimmy get me high / Jimmy only loves me when he wanna get high » répète-t-elle en boucle sur le reste de la chanson. 

Del Rey chante sur sa mère, son père, son grand-père, son frère, sa sœur, le bébé de sa sœur, son oncle Dave. Sur l'amour - et la haine dans le cas de sa mère - qu'elle leur porte. Sur son envie d’avoir un enfant et ses craintes en tant que femme de 37 ans. Dans un temps où l'industrie musicale paraît aseptisée, elle nous rappelle que l'on peut être l'une des artistes les  plus influentes de son temps tout en restant aussi conceptuelle que mystérieuse. 

Lana Del Rey ne se réinvite pas. Elle se complexifie. On aperçoit toujours May Jailer et Lizzy Grant - ses anciens alias - tout près d'elle, toujours présentes dans les chuchotements, dans ses ricanements audibles dans « Judah Smith Interlude ». Mi-church girl, mi-terreur, cette dualité qui l'a tant traversée dans toute sa discographie est ici mise à nue dans une brutalité déconcertante. « Will I die? Or will I get to that ten-year mark? / Where I beat the  extinction of telomeres? / And if I do, will you be there with me, Father, Sister, Brother? » exprime-t-elle dans le premier couplet de « Fingertips », avant de crier sur sa mère un peu plus loin : « What the fuck's wrong in your head to send me away, never to come back? »

La littérature du care de Lana Del Rey 
Crédit : Nadia Lee Cohen
 

Elle invite son ami et producteur Jack Antonoff, du groupe Bleachers, sur « Margaret », une balade dédiée à la femme du chanteur, aussi amère que trempée de désir, dont les sonorités gospel servent à appuyer sa grandiosité. Elle nous rappelle qu'en amour : « When you know, you know »... 

Mais on aurait tort de considérer l'album comme seulement rétrospectif. Del Rey s'octroie des moments de légèreté presque agressifs. Dans « Peppers », elle sample le refrain d’« Angelina » de la rappeuse Tommy Genesis, une chanson psych-rock entraînante et arrogante. Elle lâche avec désinvolture : « If you want some basic bitch, go down to the Beverly Center and find her » dans « Sweet ». Sur l'un de ses disques les plus longs et les plus émotionnellement bruts, ces instants apparaissent comme nécessaires. 

L'album se clôture sur « Taco Truck x VB » où elle revisite un de ses propres classiques, la neuvième meilleure chanson de sa discographie selon Rolling Stone, « Venice Bitch ». Elle lui apporte un nouveau couplet qui apparaît comme le point à un chapitre de sa carrière. Une fin appropriée à un album qui explore le passé, présent et futur, de sa vie et de sa musique.  Du piano à la basse en passant par le violon, par le gospel et des sonorités trap, Ocean Blvd résume finalement ce qui fait de Lana Del Rey qui elle est, piquante et vaporeuse. 

La sensibilité crue de ce nouvel album prouve que sa plume est un outil thérapeutique autant pour elle que pour ses fans. Une couverture en laine, qui nous gratte et nous réconforte. Une littérature qui prend soin et qui aide à se comprendre. Elle montre que Lana Del Rey n'est pas un personnage et que l'on peut difficilement faire plus vrai.

Mel
écrit le vendredi 24 mars 2023 par

Mel

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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