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The Strokes - L’illustration d’album comme reflet de la musique – Épisode 1, Is This It - 2001

écrit par Maxime Rouby le lundi 3 octobre 2022

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The Strokes - L’illustration d’album comme reflet de la musique – Épisode 1, Is This It - 2001


L’art a ceci d’intéressant qu’il est pluridisciplinaire. Certaines disciplines perdent d’ailleurs quelque peu de leur intérêt si elles ne sont pas complétées par une autre. Une hypothèse qui se vérifie par exemple avec le cinéma, lorsque la musique entre en scène pour magnifier l’action présentée à l’écran. Cette dualité entre son et image existe également dans l’industrie musicale, par le biais des pochettes d’album. L’estompement des frontières entre art visuel et auditif permet alors de servir plusieurs objectifs. The Strokes, eux, l’ont bien compris. Rétrospective de leurs six albums avec l’épisode 1, Is This It.

The Strokes - L’illustration d’album comme reflet de la musique – Épisode 1, Is This It - 2001

 

La pochette d’album, parfait pendant du son


Illustration de couverture, jaquette, pochette, ou covert art pour les Anglo-Saxons, les termes sont multiples pour désigner le visuel présentant un album ou un vinyle sur son recto. Un visuel qui a progressivement pris une place de plus en plus importante dans l’histoire de la musique, au point de ne plus être laissé au hasard depuis bien longtemps déjà.

La pochette d’un album, c’est le prolongement de la bande sonore, l’expression artistique poussée à son paroxysme. L’album n’est alors plus uniquement une piste musicale, mais bien un objet physique, dont la beauté visuelle doit être cohérente avec l’enregistrement. Au point, parfois, de voir l’illustration revêtir autant d’intérêt, voire plus, que le contenu de l’album lui-même.

 

Is This It ou l’explosion d’un groupe à la face du monde


30 juillet 2001. Ce jour marque la sortie du premier album des Strokes, Is This It, en Australie, pour appuyer la récente tournée du groupe dans ce pays. C’est le début d’un véritable ouragan mondial, qui expose les New-Yorkais à une célébrité subite digne des plus grands. Onze chansons pour rentrer dans la légende et les propulser comme les sauveurs d’un rock prétendument perdu.

L’ouverture, avec le titre Is This It? est grandiose et pose les bases d’un son unique, avec l’une des plus belles lignes de basse que vous pourrez entendre. D’autres morceaux s’imposent comme des œuvres majeures, à l’image de Hard to Explain, Last Nite, Someday, Barely Legal, Trying Your Luck, The Modern Age ou New York City Cops.

New York City Cops ou le titre de la discorde, dans la mesure où il ne met pas franchement en valeur le NYPD (« New York City Cops, but they ain’t too smart »). Au moment où la ville vient de subir de plein fouet les attentats du 11 septembre, le groupe décidera de remplacer le morceau par When It Started pour la version américaine, officiellement dans les bacs le 9 octobre pour la version CD.

 

Deux pochettes pour un album


Une version pour les États-Unis et une autre pour le reste du monde ? Coïncidence, c’est également le cas pour l’illustration de l’album, pour des raisons totalement différentes. Pour mieux comprendre cette particularité, un peu de contexte.

Nous sommes le 16 janvier 2001 et Colin Lane, mandaté par The Face, accueille The Strokes chez lui, dans son appartement de la 16e rue. Le photographe ne connaît pas le groupe et saute avant tout sur l’occasion de travailler pour un magazine aussi réputé. Le projet ? Réaliser une série de photos de presse pour appuyer leur notoriété naissante, due à la sortie antérieure de The Modern Age, leur premier EP, contenant le titre du même nom, Last Nite et Barely Legal. Trois morceaux présents sur Is This It, dans des versions réenregistrées pour l’occasion.

Colin Lane prévoit donc d’emmener la bande à l’Essex House Hotel. Il a l’habitude de conduire ses connaissances sur les toits de New York, encore facilement accessibles avant le 11 septembre. Éconduits, ils iront finalement sur celui du Lincoln Building. Ce sont ces photos passées à la postérité que l’on retrouve à l’intérieur du livret de l’album.

The Strokes - L’illustration d’album comme reflet de la musique – Épisode 1, Is This It - 2001
Le fameux cliché pris sur le toit du Lincoln Building – Crédits : Colin Lane
 

Après ce premier contact, Lane est rappelé afin de réaliser une nouvelle série de photos pour accompagner la sortie de l’album. Sans qu’il ne le sache, c’est un peu à la panique chez RCA Records, le label des Strokes, qui s’inquiète que le groupe n’ait pas encore choisi le visuel de la couverture. Heureusement, le photographe a amené son portfolio, et c’est en discutant avec Julian Casablancas à la pause déjeuner que ce dernier s’arrête sur une photo : une main gantée posée sur une fesse.

The Strokes - L’illustration d’album comme reflet de la musique – Épisode 1, Is This It - 2001
Le cliché original issu de la collection de Lane – Crédits : Colin Lane
 

Ce cliché iconique n’a donc rien à voir avec The Strokes en premier lieu. Il est issu de la collection personnelle du photographe. Le gant ? Du matériel laissé par un styliste à l’issue d’une séance pour The Independent. La fille sur la photo ? Sa copine de l’époque, qui sortait de la douche. Au total, dix photos sont prises avec un Polaroid Big Shot, un appareil produit pendant seulement trois ans dans les années 1970. Le hasard fait bien les choses. Le sens du détail poussera lui tout ce petit monde à supprimer le point d’interrogation après Is This It? sur la couverture pour des raisons esthétiques.
 

De l’importance du timing
 

Le sujet de la pochette réglé, le groupe part en tournée dès le lendemain. En Australie, Casablancas, omnipotent gourou, tourne les pages d’un magazine. Il tombe sur l’image d’un zoom sur une collision d’atomes, ou plus précisément de particules subatomiques, dans une chambre à bulles. Pour les plus avertis, le visuel a déjà été utilisé en partie pour la pochette de l’album de Prince Graffiti Bridge en 1990.

The Strokes - L’illustration d’album comme reflet de la musique – Épisode 1, Is This It - 2001
L’album Graffiti Bridge de Prince – Crédits : Discogs
 

Le chanteur a pris sa décision : ce sera l’illustration de l’album, au détriment du cliché de Lane. Problème, RCA a déjà fait partir celui-ci en impression. Un entre-deux est trouvé et la deuxième idée est gardée pour la version américaine. Comme cela sera révélé plus tard, cette décision tient aussi aux craintes liées à la réaction d’une Amérique sous l’influence d’une industrie conservatrice et de lobbies de droite face au cliché initial.

The Strokes - L’illustration d’album comme reflet de la musique – Épisode 1, Is This It - 2001
La pochette alternative pour Is This It aux États-Unis – Crédits : Le Vinyle Club

La carrière de Colin Lane s’est donc jouée à peu de choses, dans la mesure où cette pochette l’a propulsé vers de nouvelles hauteurs. Comme il le dit lui-même, si Casablancas avait trouvé ce magazine un jour plus tôt, il n’aurait certainement pas percé de la même manière (il a pris de multiples portraits, de Caleb Followill à Beck, en passant par Brandon Flowers ou Pharrell Williams). Le « ass shot » est ainsi devenu iconique, participant grandement à la popularité de Is This It aux quatre coins du monde. D’une rencontre presque fortuite, Lane a finalement noué une vraie relation avec le groupe, après l’enchaînement de hasards qui l’a conduit à voir sa photo accompagner l’album en haut du hit-parade. Au point de devenir le photographe de mariage de Julian Casablancas himself.

Rendez-vous demain pour le deuxième épisode avec Room on Fire

Maxime Rouby
écrit le lundi 3 octobre 2022 par

Maxime Rouby

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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mis à jour le mardi 4 octobre 2022

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