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L'Histoire du rock - Episode 5 : Le grunge, ou comment trouver de l’or dans les égouts

écrit par Simo Essouci le mercredi 19 avril 2023

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L'Histoire du rock - Episode 5 : Le grunge, ou comment trouver de l’or dans les égouts


Les années 80 ont été le signe d’une décennie marquée par la popularisation des super groupes aux représentations grandioses. Les concerts de Queen, Kiss, The Police et d’autres, sont encore considérés comme parmi les meilleurs concerts de l’histoire du rock.

 

L'Histoire du rock - Episode 5 : Le grunge, ou comment trouver de l’or dans les égouts
Kiss, live en 1975 à Tulsa.
 

Un paradoxe quand on sait que pour de nombreux musiciens, ces groupes n'incarnent plus l'esprit du rock. De nombreux artistes, tapis dans l'ombre, vont commencer à en sortir à la fin des années 80. Comme pour la mode, les tendances sont cycliques. Chaque courant dominant aura toujours son versant marginal. Rampant dans la boue, en attente du bon moment pour en sortir. L’autre côté de la pièce. Beaucoup moins éclairé que les imposantes salles de concert à paillettes et aux effets spéciaux travaillés.

Direction Seattle. Nord-ouest des Etats-Unis. Devenue capitale du rock alternatif au début des années 90. Avec l’explosion de nombreux groupes, à commencer par Nirvana, mené par le chanteur Kurt Cobain. D’autres groupes pionniers de ce courant viennent de Seattle, comme R.E.M et Sonic Youth, Soundgarden ou encore Alice in chains. Ce clip de Sonic Youth résume à merveille l’esprit du grunge du début des années 90. Même un peu trop lisse. Un réel concert de Sonic Youth, se verrait affublé d’un public bien moins propre sur lui. Mais ça permet de donner un aperçu. 

Certains habitants de l’Amérique des années 80, se sentent oubliés. Mis de côté par la présidence de Raegan. Les classes populaires se sentent mises sur le banc de l’ascension sociale. D’autant que l’Amérique n’a jamais autant montré sa richesse et son hégémonie. La fête a bien lieu, mais tout le monde n’a pas été invité. C’est de ces milieux populaires que Kurt Cobain et Krist Novoselic se rencontrent. Liés par des origines et des parcours sociaux similaires, ils vont se lier d’une profonde amitié. Mais aussi, d’une profonde rage qu’ils vont exprimer contre cette société américaine qui les oppresse. Ils vont s’inspirer du groupe Black Flag, qui sera de passage à Seattle pour une tournée. On retrouve dans le groupe un style punk digne des Stooges. Le son de la frustration de toute une génération qui se sent mise de côté. Destinée à un destin sinistre. Au contraire de la génération précédente, qui a connu la période des trente glorieuses d’après-guerre.

Les groupes de la scène alternative, rencontrent le problème inverse des grosses scènes. Qui eux remplissent des stades entiers. Ils vont devoir jouer dans un réseau qu’ils vont construire et un circuit qui sera suivi par une communauté de fidèles, dont les membres partagent le même esprit de rebélion et de contestation. De plus, la popularisation des médias alternatifs comme les radios universitaires, vont contribuer à diffuser ces morceaux, qui ne passaient évidemment pas sur les ondes fm commerciales.

En 1987, REM va sortir son album Document, qui va les faire sortir du lot et attirer l’attention de maisons de disques. Il faut dire que même si ce courant underground est marginal, il commence à attirer des centaines d’auditeurs et de spectateurs durant les concerts. Les directeurs artistiques sentent le potentiel commercial de cette mouvance et décident de donner sa chance à des groupes comme REM et Sonic Youth.

REM connaît un succès dès le début de ses performances. Ce qui va amener le groupe à faire une tournée de quasiment neuf an, de 1980 à 1989. Suite à leur dernière tournée, “greenland”, les membres du groupe décident de faire une pause, avant de sortir en 1991 l’album Out of Time, comprenant le tube phare du groupe Losing My Religion. Ce morceau marquera un tournant irréversible sur la route du groupe vers le succès. Les propulsant de groupe à relatif succès à une icône de la musique undergound. 

On peut s’interroger sur le caractère antinomique d’icônes qui contestent un système capitaliste tout en alimentant fortement son fonctionnement. Je n’ai pas la réponse, mais c’est une question que les membres du groupe se posent, en l’image du chanteur du groupe, Michael Stipes, comme le montrent certaines des paroles du tube : “ That’s me in the corner, that’s me in the spotlight, losing my religion”. “Ça, c’est moi dans un coin, ça, c’est moi sous les projecteurs, perdant ma religion”. Un message sur le rapport qu’a le chanteur avec le public, qui le met sous le devant de la scène, ce qui lui fait perdre ses repères. Cela ne dénature en rien la démarche du groupe d’être porteur d’un message pro environnementale, antimilitariste, un mouvement proche de celui de Bono et de U2. Tendance qu’ils vont continuer à suivre, après avoir atteint de grands succès commerciaux. Le groupe gardera un regard critique et lucide sur leur statut et l’évolution de leur impact sur la société américaine. Ce recul sera poussé au paroxysme sur l’album Automatic for the people. Avec des morceaux imprégnés de mélancolie et de nostalgie. Un regard sur la vie qui défile, les temps qui changent. La chanson Nightswiming en est un parfait exemple. Une mélodie au piano et des paroles qui vont donner à ce morceau une essence profonde et quasi-intemporelle. Une essence que l’on peut retrouver dans d’autres morceaux de l’album comme “Everybody Hurts”. 

Le succès de REM, permet à certains jeunes groupes d’espérer atteindre le succès et de s’insérer dans un marché de niche, certes, mais qui vend de nombreux albums. Pour espérer y parvenir, il n’y a d’autre scène possible que celle de la ville de Seattle. Un nouveau courant apparaît, le Grunge. Sorti des cendres du punk, il en reprend les mêmes ingrédients. Avec certains groupes comme Mudhoney, aux paroles invoquant le dégoût de soi et parlant de ses troubles psychologiques. Des symptômes du fléau qui touche cette jeunesse désabusée. Nirvana parvient à sortir son premier album, Bleach. Qui comportera plusieurs tubes, dont un morceau moins corrosif que les autres About a Girl, que Kurt Cobain juge comme trop commerciale. Mais qui connaîtra un franc succès. 

Kurt s’oppose aux signatures de gros contrats, des grands groupes comme REM et Sonic Youth, qu’il qualifiera de trahison et de prolongement de la dénaturalisation du rock qui s’est déroulée durant les années 80. Nirvana va adopter une stratégie similaire, accélérée par l’arrivée du nouveau batteur, Dave Grohl. (Oui, le gars des Foo Fighters, on va en parler dans le prochain article ne t’en fais pas. Il mérite même un article à lui tout seul le gaillard”. L’idée est de créer un son, qui serait un croisement entre The Beatles et Black Sabbath. En gros, de jolies mélodies, que l’on peut jouer très fort. Et ils vont y parvenir. Mais pour arriver à créer cette formule complexe, ils vont s’inspirer d’un autre groupe qui connaît un succès depuis 1985, à Boston, The Pixies. Qui arrive à créer des musiques alternant mélodies et gros riffs saturés. Leur morceau Gouge away cristallise l’essence du groupe. La voix puissante de Frank Black accompagnée de la basse de Kim Deal apporte une variation de genres au sein de leurs chansons. Cela va contribuer à créer l’image d’un groupe qui sort des sentiers battus et qui rend impossible de prévoir la suite rythmique de leurs musiques. Ce qu’apprécie le public, car il ne sait jamais sur quel pied danser (oui, j’ose ce genre de jeux de mots.).

Durant l’été 1991, Nirvana va sortir son tube phare, qui va devenir l’hymne du grunge. À savoir Smells like Teen Spirit. Inspiré d’un déodorant qui s’appelait “Teen spirit”. Une chanson qui alterne riffs puissants, mélodie rythmique et lente ainsi qu’une basse mélodique à l’image de la bassiste des Pixies, Kim Deal.

C’est le producteur Butch Vig qui va se charger de mettre en forme l’album et de canaliser l’énergie des membres du groupe, pour le rendre plus adapté à la diffusion de masse. Il va commencer par doubler les pistes de chants de Kurt, procédé pratiqué régulièrement par les Beatles. Principalement par John Lennon, pour donner du volume et du relief à sa voix. Le résultat est étonnant de puissance et de force. L’album sera un succès commercial dès janvier 1992, le plaçant à la tête des classements américains. 

En 1994, Nirvana fera sa performance la plus poignante, le live MTV Unplugged à New York. Le travail post production du live, se fera après le suicide du chanteur. Ce qui rend la performance et le rendu d’autant plus solennel. La passant au rang de meilleure performance du groupe. Les membres du groupe sont au sommet de leur art.

Le style musical sera combiné à un style vestimentaire atypique et nouveau. La tendance sera aux jeans troués et aux chemises en flanelle. Le style sera à l’image du grunge, faussement négligé, chaotique et anarchique. La création d’une identité visuelle, sera un symbole d’appartenance à cette contre culture qui se dresse face à la société capitaliste et à l’hégémonie américaine. À grands coups de Rangers et de Doc Marten’s.

Un parallèle est à établir entre l’apparition du grunge, comme un rejet de la forme qu’a pris le rock et son approche quasi exclusivement commerciale. Avec l’apparition du punk, en marge des premiers mouvements de glam rock vingt ans plus tôt.

Flairant l’intérêt commercial, de grandes marques vont sauter sur l’occasion et iconiser le style grunge. À l’image de Marc Jacobs qui lance une série de vêtements, à l’origine prévue en partenariat avec Kurt Cobain et son épouse Courtney Love. Que ces derniers vont finir par refuser. Mais le style se diffuse à grande échelle. Une appropriation d’un style urbain populaire par des classes sociales plus aisées. Un moyen de s’encanailler, en somme. Une approche similaire à celle des Américains blancs, qui fréquantaient les honky tonk du sud des Etats-Unis durant les années 50 pour y trouver une ambiance, des pratiques et des idées qu’ils ne pouvaient trouver nulle part ailleurs.

L'Histoire du rock - Episode 5 : Le grunge, ou comment trouver de l’or dans les égouts
Shooting pour le magazine Vogue, Naomi Campbell et Kristen McMenamy, photo de Steven Meisel, 1992.
 

Ce sillon élargit par ces groupes, va inspirer une vague de rockers qui vont déferler sur le marché à la fin des années 90. Profitant de l’essoufflement du Grunge qui a éteint sa limite. Mais en parallèle, des légendes du rock comme les Rolling Stones, AC/DC et bien d’autres, vont sortir de l’ombre des Géants qui remplissent les stades, pour profiter de la diffusion sur de nouveaux canaux et réseaux. Les clips télévisés vont prendre une ampleur formidable durant les années 90 et participer à l’attribution d’un style et d’une identité visuelle à un courant. Cette tendance va se confirmer durant les années 2000, avec la dernière vague du rock. Prépare-toi à retenir de nombreux groupes qui commencent par “The”. Tu es prévenu.

Simo Essouci
écrit le mercredi 19 avril 2023 par

Simo Essouci

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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mis à jour le mercredi 19 avril 2023

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