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Summer of Soul, dans l’ombre du Summer of Love

écrit par Maxim Ginoux le jeudi 2 septembre 2021

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Summer of Soul, dans l’ombre du Summer of Love
 

Si le Summer of Love est un concept qui est bien connu de nous tous, il y a eu à la même période, le Summer of Soul. Plus discret, mais tout aussi important, un festival à ciel ouvert sur trois mois, le Harlem Culture Festival est considéré par beaucoup comme le Woodstock afro-américain avec seulement des artistes noirs. Retour sur un festival qui, le temps d’un instant, a rappelé que New York est définitivement the place to be.
 

Summer of Soul, dans l’ombre du Summer of Love

Le Harlem Cultural Festival était une série de six concerts gratuits en plein air organisés dans le Mount Morris Park de New York entre le 29 juin et le 24 août 1969. Étant donné que ces dates coïncidaient avec le festival de Woodstock dans le nord de l'État de New York (15-18 août), le festival culturel de Harlem a parfois été décrit comme le "Black Woodstock".

Summer of Soul, dans l’ombre du Summer of Love

Mais le nouveau documentaire Summer Of Soul (...Or, When The Revolution Could Not Be Televised) - le premier film du leader du groupe Roots Ahmir "Questlove" Thompson, qui a remporté cette année le Grand Prix du Jury à Sundance - montre que c'était bien plus que cela.

Le festival a été mis sur pied et organisé par Tony Lawrence, un chanteur de salon local et un promoteur disposant d'un vaste réseau de contacts. Il a réussi à obtenir un financement de la ville et a même obtenu un parrainage supplémentaire de la part de Maxwell House Coffee, ce qui explique pourquoi les affiches d'une série de concerts gratuits en plein air, au milieu de l'été, avaient pour logo une tasse de café géante. 

L'ensemble du festival a été filmé par le producteur Hal Tulchin, et une partie a été diffusée sur une chaîne de télévision locale à l'époque. Mais après, les bandes ont été stockées et largement oubliées, ce qui donne lieu à des interviews fascinantes et hilarantes de participants qui clament haut et fort "J'y étais! Je ne suis pas fou, c'est vraiment arrivé".

Le film commence par des images de Stevie Wonder qui joue un solo de batterie, même si en réalité Wonder ne s’est produit que lors du troisième concert le 20 juillet. Le festival a regroupé des artistes incroyables et a donné lieu à des performances tout aussi fantastiques. On peut par exemple y retrouver B.B. King, Sly And The Family Stone, David Ruffin, Gladys Knight & The Pips, Mongo Santamaria, Ray Barretto, Hugh Masekela, et bien d’autres. 

Summer of Soul, dans l’ombre du Summer of Love

Les concerts avaient des thèmes libres, le premier étant axé sur le jazz et la pop, avec notamment The 5th Dimension et d'autres groupes (bien que Sly & The Family Stone ai terminé la soirée). Le 13 juillet était un programme entièrement consacré au gospel, avec Mahalia Jackson et les Staple Singers. Le 20 juillet proposait Stevie Wonder, Ruffin, Knight et d'autres groupes pour un concert plus pop.  Le 27 juillet était axé sur la musique latine et le jazz, avec Santamaria, Barretto et Herbie Mann, et enfin le 17 août présentait Nina Simone, B.B. King et Hugh Masekela.

Thompson – le réalisateur du documentaire - accorde une attention particulière à quelques performances. Dès le début, il braque les projecteurs sur le groupe 5th Dimension. Ce groupe vocal noir basé à Los Angeles, dont le travail mêlait pop, R&B, jazz et show tunes, était très populaire dans les boîtes de nuit et a remporté de nombreux succès et des Grammy Awards, mais il était surtout considéré comme populaire auprès du public blanc.

Deux des membres fondateurs du groupe, Billy Davis Jr. et Marilyn McCoo, sont interviewés dans le film, et ils partagent toutes les émotions qu'ils ont traversées le jour de leur performance comme la peur de ne pas être acceptés par la foule de Harlem, suivie du choc et enfin de la joie et de l'amour et de l'affection mutuels.

Un phénomène similaire se produit plus tard dans le film, lorsque les groupes de Mongo Santamaria et de Ray Barretto apparaissent et où la relation étroitement liée entre les populations noires et latines de Harlem est explorée dans le contexte de la musique, mais aussi de la politique.

En 1969, Barretto faisait de la musique ‘hardcore’ et stimulante, combinant l'énergie explosive et les polyrythmes complexes des styles traditionnels des Caraïbes avec les impulsions exploratoires du jazz et la ferveur mi-religieuse de la soul.

Il y a également une longue section qui est accordé au concert sur le thème du gospel du 13 juillet et en particulier sur Mavis Staples, qui s'est produite avec son père et ses sœurs sous le nom de Staple Singers et qui a également rejoint la légende du gospel Mahalia Jackson pour chanter Precious Lord, Take My Hand

Religieux ou non, le gospel peut avoir un pouvoir de transformation, et les performances présentées ici inciteront même les plus athées d’entre nous à chanter et à apprécier le pouvoir mystique de cet art. 

Le film contient également des interviews du critique musical Greg Tate, qui parle du sentiment de catharsis et de libération que l'on trouve dans la musique spirituelle noire, et du politicien et prédicateur Al Sharpton, qui déclare : "Le gospel était plus que religieux. Le gospel était la thérapie pour le stress et la pression d'être noir en Amérique. Nous n'allions pas voir un psychiatre. Nous n'allions pas nous allonger sur un divan. Nous ne savions rien d'un thérapeute, mais nous connaissions Mahalia Jackson".

Summer of Soul, dans l’ombre du Summer of Love

De toute évidence, le principal attrait de ce film réside dans les performances musicales. Presque tous les groupes présentés ont droit à une chanson complète, voire plusieurs. Certains moments individuels inoubliables méritent d'être soulignés, comme le geste politique de Gladys Knight & the Pips qui lèvent le poing de Black Power en quittant la scène, la voix de Cynthia Robinson qui se déchire les poumons lors de l'interprétation endiablée de Sing A Simple Song par Sly And The Family Stone ou encore le regard intimidant de Nina Simone lorsqu'elle chante Backlash Blues.

Mais pour Thompson, les personnes qui ont assisté au spectacle occupent une place tout aussi importante dans le film que les interprètes, puisque sans public, ce festival aurait eu beaucoup moins de sens. 

On peut y voir par exemple deux femmes, aujourd'hui âgées de soixante à soixante-dix ans, qui se souviennent avoir menti à leur mère pour pouvoir se rendre en cachette au concert. Ou encore des déclarations de spectateurs à l’époque qui parle de l’alunissage qui a eu lieu le 20 juillet de la même année, soit en plein milieu du festival. Performance qui ne réjouit pas la population noire d’Harlem de l’époque puisque tous font face à une extrême pauvreté. Paroles qui résonnent encore de nos jours quand des milliardaires se payent des voyages dans l’espace pour des sommes astronomiques quand l’écart entre les classes sociales se veut toujours plus grand.

Ce film, qui condense et montre un joyeux moment d’allégresse est encore au cinéma dans un petit nombre de salles. Mais pour ceux qui ne peuvent pas le voir dans les salles obscures, le documentaire est disponible depuis le 30 juillet sur Disney +. L’occasion de prendre une bonne bouffée d’air. 

 
Maxim Ginoux
écrit le jeudi 2 septembre 2021 par

Maxim Ginoux

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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mis à jour le vendredi 22 octobre 2021

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