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Techno, Hip-hop : deux machines ratées qui ont tout changé

écrit par Marius Laffont le mercredi 7 septembre 2022

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Techno, Hip-hop : deux machines ratées qui ont tout changé


Peut-être “Roland” vous dit-il vaguement quelque chose, une marque de clavier comme il en existe des dizaines, pas si renversant que ça. D’ailleurs le nom “Roland” sonne un peu chelou, comme s’il était français alors qu’en réalité cette marque est… japonaise. Mais derrière cette bizarrerie se cache un constructeur de synthétiseurs génialissime dont certains produits sortis dans les années 80 ont révolutionné le monde de la musique, et un peu malgré eux d’ailleurs…  

Techno, Hip-hop : deux machines ratées qui ont tout changé

Un peu de contexte. Dans le langage courant, un synthétiseur renvoie à un instrument qui en imite plein d’autres, du piano à la trompette, muni d’un clavier aux touches en plastique souvent assez cheap. Mais cette définition est très réductrice, le terme “synthétiseur” renvoie à toute machine électronique qui produit des sons de "synthèse" à partir de signaux électriques, traités analogiquement ou numériquement. 

Roland voit le jour en 1972 à Osaka. Ne cherchez pas l’origine du nom, personne ne sait réellement d'où ça vient… Toujours est-il qu’Ikutaro Kakehashi, fondateur de la firme, a une idée particulière de la musique du futur : ce sera l’électronique, et ça tombe bien car le Japon est déjà l’un des leaders du secteur à l’époque. Durant toutes les années 1970, Roland ne commercialise que des produits assez classiques, dont des amplis de guitare ou des synthétiseurs assez similaires aux Moog américains à partir de 1973. Mais l’intuition géniale arrive en 1981… 

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TR-808 

Ok, parler d’intuition géniale pour qualifier la TR-808 est un peu abusif, on pourrait plutôt évoquer un “contre-flop”. Eh oui, la TR-808 est avant tout un giga flop commercial. Cette boîte à rythmes qui tente maladroitement d’imiter une batterie complète ne se vend qu’à 12.000 exemplaires, autant dire que ça n’a pas suffi à rembourser les frais de recherche et de conception de la machine. Imaginée pour le travail en studio, la petite machine ne trouve pas son public et tombe dans l’oubli. 

Pourtant, derrière la coque en plastique noire se cache un petit trésor d’ingénierie. Avec ses transistors volontairement pourris et sa synthèse sonore analogique typique du début des années 80, la TR-808 produit un son tout en rondeurs absolument unique. Autre particularité, son séquenceur intégré permet à l’utilisateur de programmer facilement un rythme en appuyant sur une bête ligne de boutons. En réalité, cette machine est un combo parfait entre prise en main facile et possibilité de création de rythmes quasi infinie. Bref, la TR-808 est une bête. 

Ce potentiel explose en 81-82, lorsque le producteur de hip-hop New-Yorkais Afrika Bambaataa découvre par hasard la machine de Roland et s’en sert pour le morceau Planet Rock. Immense succès, la TR-808 devient subitement branchée dans le milieu hip-hop. Grâce à sa synthèse analogique pas trop onéreuse et sa relégation rapide au placard, la TR-808 se trouve en nombre et pour pas cher… mais pas pour longtemps. Roland arrête rapidement de produire la machine faute de composant, et les prix des TR-808 neuves et d’occasion flambent. 

Au début des années 80, la techno naissante s’empare de la machine et l’utilise abondamment. Parmi les différentes scènes techno qui utilisent la TR-808, l’Acid house de Chicago l’associe à une autre machine de Roland, elle aussi un gros fail commercial, la TB-303. 

Techno, Hip-hop : deux machines ratées qui ont tout changé
TB-303

L’association de la TR-808 et de la TB-303 est la preuve par l’exemple que deux machines initialement foirées peuvent créer un nouveau pan entier de la musique. La TB-303 a une histoire assez similaire à sa pote la TR-808, sauf qu’au lieu de tenter de reproduire une batterie, elle tente désespérément d’imiter une basse. Le résultat est assez misérable et personne n’en veut, même pas les guitaristes pour s'accompagner lors des entraînements. La pauvre TB-303 subit un sort assez familier aux innovations de Roland à l’époque >> placard. 

Évidemment, l’histoire ne s’arrête pas là. Si de prime abord la TB-303 se vautre complètement dans son imitation de basse, les sons qu’elle est capable de produire ne ressemblent à rien de ce qui existe à l’époque. La TR-808 produisait un son certes assez vague de batterie, mais on lui reconnaissait au moins l’aspect “percussion”. Avec la TB-303, Roland a créé un instrument totalement inclassable, qui génère une infinité de sonorités possibles, et ce par pure sérendipité. Certes les synthétiseurs précédents, Moog et compagnie, disposent aussi d’une palette sonore vertigineuse, mais ces instruments restent des simples claviers modifiables alors que la TB-303 permet de créer et surtout de programmer des lignes de mélodie grâce à son séquenceur. Cette mélodie est jouée en boucle et on peut la triturer dans tous les sens : changer la hauteur des notes, leur timbre, la résonance, la fréquence… Impossible de décrire toutes les possibilités de cette machine, d’autant qu’on peut les additionner allègrement. 

Au début des années 80, un adjectif émerge pour qualifier les sons hyper chelous produits par cette machine : “acide”. La TB-303 sonne “acide”. L’origine de ce dénominatif : l’utilisation abondante de la TB-303 dans les soirées techno de Chicago, Londres et Ibiza, soirée dans lesquelles circulent librement LSD et MDMA. Naît alors une branche de la house dite “acid house”, qui évoluera en une constellation d’autres styles de techno : goa, psytrance, acidcore… Pour le kiff, une track mélangeant TR-808 et TB-303, un aperçu de la techno milieu des années 80 aux US : 

Le milieu des années 80 marquent la progression des machines analogiques vers des machines numériques, c’est le cas de la TR-909, toujours de Roland, qui combine ces deux technologies. Cette boîte à rythmes connaît (encore) le même sort que ses prédécesseurs : échec initial puis reconversion dans de nouveaux styles de musique, surtout la techno pour cette machine. 

Les TR-808 et les TB-303 d'origine sont aujourd’hui des instruments rares. Déjà mal foutues à l’époque, avec des composants médiocres, un certain nombre n’ont pas survécu à l’épreuve du temps et les prix de celles qui restent sur le marché sont juste démentiels (plus de 6500€ pour une TR-808 d’occasion), sort ironique pour des machines que Roland n’arrivait pas à vendre à l’époque… Aujourd’hui des logiciels permettent de les générer virtuellement, avec des imitations très fidèles et accessibles sans avoir à vendre un rein. La prochaine fois que vous entendrez un son techno, pop vintage ou hip-hop old school, tendez bien l’oreille, peut-être s’y cachent une de ces deux machines ou leur imitation…

Marius Laffont
écrit le mercredi 7 septembre 2022 par

Marius Laffont

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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mis à jour le mercredi 7 septembre 2022

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